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ecologie:pourquoi_l_ecologie_perd_toujours

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Pourquoi l'écologie perd toujours (Clément Sénéchal)

J'ai lu début 2025 le livre Pourquoi l'écologie perd toujours de Clément Sénéchal (voir son profil sur mastodon).

Voir quelques extraits sur mastodon.

La première partie parle principalement de Greenpeace mais aussi d'autres ONG. L'auteur explique comment Greenpeace (mais aussi WWF et d'autres) ont progressivement glissé vers un objectif médiatique plutôt que vers des victoires concrètes.

«L’écologie réelle, qui implique de réguler la production et d’œuvrer à l’égalité matérielle entre les citoyens pour imposer la sobriété, n’a donc jamais été au programme.»

Je trouve le constat assez dur. Je pense que Greenpeace, et d'autres, ont permis à l'écologie de rentrer dans le débat public et de pousser aussi des victoires. Même si le premier bateau de Greenpease n'atteint pas Amchitka et n'empêche pas l’essai nucléaire, la mobilisation médiatique fait que les États-Unis annulent les 3 autres essais prévus. Et en même temps, j'entends la critique.

Qu'est-ce qui est important ? Faire parler d'une situation ? L'empêcher concrètement ?

«Les communicants de l’arc-en-ciel ont appris de leurs échecs : le but de l’expédition n’est plus d’empêcher une atteinte précise et circonstanciée à l’environnement, comme à Amchitka, mais de courir après une photo suffisamment puissante pour asseoir le prestige médiatique de Greenpeace et accroître la surface culturelle de l’environnementalisme auprès du grand public.»

«Une poignée de secondes plus tard, bingo ! Un harpon est enfin décoché : il passe au-dessus de la tête de Bob Hunter et vient se nicher dans la chair fatiguée du cachalot. S’ensuit un bain de sang. Une autre vie animale s’achève, sans avoir été sauvée. Tout à la fois pétris d’écœurement et tremblants d’exaltation, les activistes remontent à bord du Phyllis Cormack.»

«On retrouve les ingrédients de la première campagne, en plus intenses : le rôle central de la communication, des médias et du storytelling. Une trempe indéniable doublée d’une assurance admirable, toutes deux magnifiées par les outils du spectacle. Le sens de l’opportunité et des récits enchanteurs. La faculté de créer l’actualité. L’implication physique des militants, cette fois jusqu’à l’interposition, sans pour autant parvenir au moindre résultat concret. Mais aussi une vindicte centrée sur les praticiens plutôt que sur les donneurs d’ordre, sur ceux qui vivent de leur force de travail au lieu de ceux qui organisent le système industriel qui les exploite. Et l’entretien auprès du public de l’illusion confortable d’un engagement par procuration, depuis son salon, remettant le destin du monde dans les mains d’une petite élite d’activistes éclairés.»

Donc… Beaucoup de communication, des photos “chocs”, et une remarque que je trouve très pertinente. “Une vindicte centrée sur les praticiens plutôt que sur les donneurs d'ordre (…)” Est-ce que le problème, c'est le travailleur pauvre qui se retrouve sur un baleinier afin de pouvoir gagner de l'argent et nourrir sa famille ?

Autre exemple avec les inuits qui se retrouvent accusés d'être des meurtriers de phoques.

«les Inuits, qui vivent chichement, pour beaucoup au chômage ou sans source de revenus stable une bonne partie de l’année, s’indignent de la priorité donnée aux bébés phoques sur leur travail et leur propre misère. Ils se révoltent face au dilemme insoutenable dans lequel les enferme Greenpeace en stigmatisant une tradition culturelle ancestrale et une source de revenus indispensable.»

On ne peut pas débarquer, dire “c'est pas bien ce que vous faites” et partir sans proposer d'autres solutions. Il y en a peut-être. Sûrement même. Mais il faut d'abord s'intéresser au quotidien de ces gens avant de vouloir leur dire qu'ils font tout de travers.

«Bob Hunter va se placer sous la proue du brise-glace norvégien chargé de collecter les fourrures, histoire de donner le change. Paul Watson prend place à ses côtés. Les deux hommes se serrent la main et serrent les dents. Une gigantesque coque rouge s’immobilise à quelques centimètres d’eux. Sous leurs pieds, la glace est intacte : elle n’a pas cédé. Une nouvelle photo légendaire est prise, avant que le bateau ne poursuive sa route.»

Cette année-là, aucun massacre n'a été empêché. Et avec l'arrivée de Brigitte Bardot par la suite, on fait encore plus de cinéma :

«Mais le clou du spectacle intervient quelques jours plus tard, quand l’actrice française Brigitte Bardot débarque sur la banquise avec environ quatre-vingts journalistes européens. Elle traitera les Canadiens « d’assassins » devant les caméras du monde entier et garantira un retentissement planétaire à la campagne de Greenpeace. Ce type de leçon de morale, administrée par une star de cinéma française, n’a-t-elle pas contribué à faire de l’environnementalisme une lutte mondaine et déconnectée ?»

Est-ce qu'en s'attaquant aux exécutants (parfois dans des situations difficiles où ils n'ont pas forcément le choix), on ne crée pas une fracture? Entre ceux qui peuvent se permettre de parler d'écologie, d'acheter bio/fairtrade, d'aller travailler à vélo, … et ceux qui sont empêtrés dans le système d'exploitation capitaliste et qui ne voient pas d'autres solutions?

Je n'ai pas la réponse à cette question. Mais ça vaut la peine de s'interroger sur ce mode d'action et sur le fait que la lutte écologique se retrouve parfois méprisée par des gens qui pourtant auraient tout intérêt à ce qu'on puisse prendre soin de la biodiversité, de l'environnement, etc…

Dans la suite du livre, l'auteur critique les écogestes poussés par les ONG et les politiciens :

«Couper l’eau, éteindre la lumière, baisser le chauffage, trier ses déchets… Le problème de cette approche individualiste, c’est qu’elle conforte la déresponsabilisation complète des décideurs politiques, trop heureux de pouvoir dès lors se cantonner à « sensibiliser » ou « inciter » le public. Et parmi les écogestes, il y a bien entendu celui de donner un peu d’argent aux ONG qui alertent courageusement sur le réchauffement climatique. Sans surprise, ce registre est donc abondamment exploité par le pouvoir : en octobre 2021, Barbara Pompili, alors ministre de l’Écologie, mobilise par exemple les services de l’État pour une campagne publicitaire sur ce thème et diffuse une vidéo qui incite « à réduire, réutiliser, recycler ». Elle tweete : « Pour faire entrer l’écologie dans nos vies, adoptons #LesBonnesHabitudes. » Comme si tout le monde était logé à la même enseigne, indépendamment de sa condition sociale.»

«Les écogestes renvoient au référentiel de « l’empreinte carbone » individuelle, une notion développée et popularisée par l’industrie pétrolière dans les années 2000. En 2004, British Petroleum missionne en effet l’entreprise de relations publiques Ogilvy & Mather pour améliorer son image. Ensemble, ils choisissent de tout miser sur la notion d’empreinte carbone individuelle, qui invisibilise la question brûlante du partage de l’effort. Ainsi, la compagnie pétrolière propose au public, la même année, de calculer son empreinte carbone. En août 2021, une chronique publiée par le New York Times s’intitule : « S’inquiéter de votre empreinte carbone est exactement ce que les grandes sociétés pétrolières veulent que vous fassiez.»»

«D’abord, la focale portée sur « les petits gestes du quotidien » éparpille complètement la perception du problème, jusqu’à la réduire en miettes, effaçant par là la nécessité du changement politique. Ensuite, elle réserve l’écologie à une classe supérieure, éduquée, dotée des ressources nécessaires pour consentir et sublimer quelques sacrifices mineurs dans son mode de vie. Les écogestes renvoient à une écologie du luxe et de la volupté, cultivée comme un art de vivre raffiné, innocemment teinté de mépris de classe, calibré pour les adeptes du bio et du vélo électrique, prodigues avec les ONG mais dont le portefeuille reste insensible aux taxes sur la pollution.»

C'est une critique que je trouve tout à fait pertinente.

Ça me fait penser à cette vidéo : Oubliez les douches courtes (Derrick Jensen)

Culpabiliser les “consommateurs” détourne le regard des entreprises ou des politiciens qui peuvent, eux, prendre des mesures vraiment impactantes.

«Le changement individuel n'est pas équivalent au changement social.» (Oubliez les douches courtes (Derrick Jensen))

Il est plus facile de culpabiliser les individus (en particulier les individus “moins puissantes”) au lieu de blâmer ceux qui ont vraiment le pouvoir de changer le système.

Revenons à l'ouvrage qui nous occupe ici. L'auteur continue :

«Engagements volontaires, petits gestes individuels, principe du pollueur-payeur… Depuis des années, les écologistes partagent en définitive le même agenda que la classe capitaliste. Conséquence d’un champ social qui s’est construit en dehors des mouvements ouvriers et des classes populaires, ils ont codé leurs revendications dans la langue du marché.»

Il est indispensable d'inclure les classes populaires dans l'écologie. C'est ce que fait par exemple Banlieues Climat avec notamment Féris Barkat qui cherche à “cherche à promouvoir une « écologie émancipatrice » et apporte un nouveau regard sur les enjeux planétaires, avec un angle social et solidaire.” C'est de ça dont on a besoin.

Je pense que la campagne Printemps populaire d'Écolo est une démarche qui est essaye d'aller dans ce sens. On ne pourra pas faire d'écologie si on embarque pas ceux qui vont souffrir des dérèglements climatiques (et de tout le reste!) en premier.

Le livre continue sur différentes “affaires” françaises liés à l'écologie. Les gilets jaunes. La convention citoyenne pour le climat (qui permet de détourner l'attention des ronds points où se retrouvent encore les gilets jaunes). Et la déconnexion des ONG sur bon nombre de ces questions.

«En la circonstance, à quel nouveau monde peut bien renvoyer un imaginaire fondé sur les écogestes, la protection des baleines et les labels durabilité ?»

On continue avec plusieurs critiques de “la gauche” française.

«Yannick Jadot esquive systématiquement le sujet de la décroissance, n’attaque jamais la société capitaliste et refuse de critiquer frontalement l’économie politique dominante. Effrayé par les clivages trop tranchés, tiraillé entre la volonté de séduire les sociaux-démocrates prudents et la jeunesse écolo plus radicale, versant trop volontiers dans le débonnaire, donnant même parfois le sentiment de s’excuser d’être écologiste, le candidat chasse sur un espace friable, celui qui sépare Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon.»

Et toujours une critique des ONG :

«Au vrai, les ONG refusent de se donner pour objectif politique l’accession d’un candidat écologiste au pouvoir. Si renverser le « système » par des voies insurrectionnelles leur est inconcevable, thématiser le vote comme un levier pacifique pour changer la donne politique l’est donc tout autant. Donner des consignes de vote éclairées leur semble a fortiori complètement incongru, de même que faire campagne contre l’extrême droite6. Sans surprise, elles refusent d’accompagner la dynamique de Jean-Luc Mélenchon, dont elles notent pourtant le programme très favorablement (…) À l’instar des syndicats réformistes, la société civile environnementale ne prend pas parti. Elle propose une écologie qui s’abstient. Une écologie qui a le temps, parce qu’elle a de l’argent.»

(à terminer)

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